mardi 24 août 2010

Il y a 96 ans (2)

21 août 1914 - Cela va bientôt faire un mois que le pays est en guerre. Partout, sur la frontière, les combats sont violents. C'est ce qu'on appellera la Bataille des Frontières. Le but de l'armée française étant de pénétrer en Alsace-Lorraine pour reprendre le contrôle de la région, et de poussée l'armée allemande jusqu'à la rive gauche du Rhin. D'ailleurs, dans les premiers jours de la guerre, la ville de Mulhouse avait été libérée, avant d'être reprise par les Allemands. Ce que n'avait pas prévu l'Etat-Major français, c'est que l'Allemagne attaquerait la France en passant par la Belgique, violant ainsi la neutralité du petit pays. Ce qui provoquera d'ailleurs l'entrée en guerre de l'Angleterre aux côtés de la France. Bref, en ce 21 août 1914, sur tous les fronts, l'armée française recule, devant la contre-offensive musclée de l'armée allemande.



Mais revenons d'abord sur le 149ème Régiment d'Infanterie. Basé à Epinal avant la guerre, il est essentiellement composé de Vosgiens et de Haut-Saônais, qui combattent donc dans leur région. A la déclaration de la guerre, le Régiment est désigné pour occuper les cols des Hautes-Vosges, qui donnent sur la frontière. Dans l'article précédent, nous l'avions laissé dans ces cols, le 9 août, lors de sa première rencontre avec les Allemands. Le 12 août, le Régiment quitte les cols, et prend direction plus au nord, vers Sarrebourg. Le 18 août commence l'offensive de Sarrebourg. Le Régiment, et toute la Ière Armée, sont entrés de 20km dans les terres allemandes. Un peu plus au Nord, la IIème Armée marche sur Morhange. Le 149ème d'Infanterie est basé sur le village d'Abreschviller, 5km derrière Sarrebourg.




Mais côté allemand, le Kronprinz Rupprecht, jusqu'alors tenu à un rôle uniquement défensif, demande à ses supérieurs s'il peut entrependre un contre-offensive, contre les Ière Armée française à Sarrebourg, et IIème Armée française sur Morhange. Et cette contre-offensive fonctionne! Dès le 20 août, les Français doivent évacuer Morhange et Sarrebourg. Les Allemands continuent de faire reculer nos troupes.


Le 20 août à midi trente, le 149ème, toujours basé sur Abreschviller, reçoit l'ordre de se porter vers Sarrebourg, pour combattre. Malheureusement, au moment même où le régiment s'apprête à quitter le village, l'artillerie allemande l'attaque. La 4ème Compagnie reçoit comme ordre de tenir position à un carrefour au nord du village, en hauteur, avec l'Artillerie, pour contrer l'Artillerie allemande. Les combats durent. Après la surprise, nos soldats organisent une contre-offensive qui débute à 17h. 30. Les combats ont lieus tout autour du village, un poste de secours étant installé à Abreschviller même, pour soigner nos bléssés, nombreux. La nuit tombe, les combats continuent. A 22h., on peut voir du hameau de Biberskiry de grand feux: les Allemands viennent de l'occuper. Pire, la liaison avec le 31ème Bataillon de Chasseurs vient d'être perdue.

Le lendemain, le Colonel reçoit l'ordre de tenir les lignes, en attendant la reprise de l'offensive. Mais dès 5h., les Allemands attaquent vivement nos troupes, en partant de Biberskiry, occupé depuis la veille au soir. Sur notre droite, le 3ème bataillon est débordé par un ennemi supérieur en nombre. On signale des nombreux morts parmi nos rangs. La 10ème compagnie reçoit l'ordre de protéger le repli du bataillon, qui se reforme dans le village d'Abreschviller. A 10h. du matin, l'objectif ennemi est d'occuper le village voisin de Lettembach. Les restes du 3ème bataillon sont réunis pour aller défendre le village. La 4ème compagnie est toujours au nord d'Abreschviller, en soutien de l'Artillerie. Bientôt, c'est tout ce qui reste du Régiment qui vient occuper la route menant à Lettembach: le village ne doit pas tomber aux mains des Allemands. Les combats sont très violents, et durent jusqu'à 17h. Le Régiment se replit vers Saint-Quirin.

La journée a été désastreuse. Le Régiment compte 35 morts, et 287 blessés, mais surtout 224 hommes disparus lors des combats! On ne sait pas s'ils ont été fait prisonniers par l'ennemi, ou s'ils sont morts. Les journées suivantes seront identiques. Peu de gens le savent, mais la journée la plus meurtrière de la Grande Guerre fut le 22 août 1914, avec 27.000 soldats tués en cette seule journée. Sans compter que les journées suivantes sont toutes aussi meurtrières. Car l'armée française continue de reculer, partout sur le front. En Lorraine, les Allemands pensent déjà prendre Nancy. C'est encore pire en Belgique, où les armées alliées se replieront jusqu'à la Marne, le 5 septembre. Ce sera la Bataille de la Marne, qui sauvera Paris. Et les 4 années suivantes, le front ne bougera plus, les soldats s'enterrant dans les tranchées...




Si je m'interesse au 21 août 1914, c'est parce-que parmi les 224 hommes du 149ème d'Infanterie, figurait Michel RICHARD, simple soldat de 2ème classe de la 4ème Compagnie. J'ai déjà parlé de lui dans l'article précédent. Sa femme enceinte se trouvait à Epinal. Quand elle accouche en décembre 1914 d'une petite fille, elle ne sait toujours pas que son mari est mort depuis plusieurs mois. Sur l'acte de naissance de sa fille, Michel est considéré comme vivant, même si l'enfant est déclarée par une sage-femme. Il faudra attendre la fin de la guerre, pour qu'un jugement déclare la mort de Michel. Son corps ne sera jamais retrouvé, et sa femme a dû vivre toute la durée de la guerre dans l'espoir du retour de son mari, peut-être prisonnier chez les Allemands.

Le 23 juin 1920, le Tribunal Civil d'Epinal rend jugement: le soldat Michel Eugène Arthur est déclaré Mort pour la France, près de 6 ans après sa disparition. Ce jugement permet à sa femme d'être considérée comme une veuve de guerre; ainsi elle pourra toucher une pension pour élever ses jeunes enfants.

Le 12 juillet 1928, soit 14 ans après les faits, sa fille Hélène est Adoptée par la Nation, suivant un jugement du Tribunal des Vosges. En clair, elle qui n'a jamais connu son père devient une Pupille de la Nation, c'est à dire que la République Française devra la protéger, et lui assurer un soutien moral et matériel, jusqu'à ses 21 ans.


Ces 2 articles avaient pour but de rendre hommage à un de ses nombreux soldats, morts dans la boucherie que fut la Première Guerre Mondiale. Pour ne pas qu'il tombe dans l'oubli. Surtout que le même jour que lui, une personne beaucoup plus célèbre décédait également.


1 commentaire:

  1. Extrêmement émouvant et intéressant.
    Dans le cadre du devoir de mémoire et de la commémoration prochaine du 100ème anniversaire du début de la Grande Guerre, je recherche tout renseignement sur Paul MARCHAND, Vosgien de 24 ans tué le même jour que Michel RICHARD dans les rangs du 149 RI, déclaré lui aussi "Mort pour la France" le 11 août 1920. Il avait un frère aîné André, "tué à l'ennemi" à Pontavert en 1917 dont je cherche à réhabiliter la tombe dans le petit cimetière vosgien de Les Voivres d'où je suis également originaire.
    Merci d'éventuelle(s) réponse(s)à jeannoelcb@hotmail.fr.

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