jeudi 5 mai 2011

Un métier dangereux

Jean-François ALLAIS. C'est mon n° Sosa 340. Il est né en 1754 à Sainte-Mère-Église, dans la Manche. Oui, il s'agit bien de la ville célèbre pour le débarquement du 6 juin 1944, avec le mannequin d'un parachutiste américain resté accroché au clocher de son église. Mais c'est une autre histoire.

Bien que baptisé sous le prénom de Jean-François, toute sa vie, il se fera appelé François par son entourage. À l'âge tardif de 29 ans, il se marie avec Marie Anne Louise Charlotte LÉCUREUIL, originaire d'Urville, un ville se trouvant un peu plus loin à l'intérieur les terres. La future est mineure (elle n'a "que" 22 ans), et le mariage a lieu dans sa paroisse.


Signature de (Jean-)François ALLAIS


Et pourtant, comme c'est assez souvent le cas, le jeune couple s'installe peu après leur mariage dans le village de l'époux. Ainsi, François et Marie viennent vivre à Sainte-Mère-Église. En 1784 nait leur premier enfant: c'est une fille, prénommée Thérèse Antoinette. Les naissances se suivent: 1787 et Anne Aimable Adélaïde, 1789 et Bonne Victoire Raphaële... (oui, dans la Manche, on aime donner le plus de prénoms possible!). En 1791, pour la première fois, c'est un petit garçon, Jean-François, que François vient déclarer à la Mairie de Mère. Et oui, c'est la Révolution, et les révolutionnaires essaient d'effacer tout le passé catholique et royal du pays. Ainsi, Sainte-Mère-Église devient tout simplement Mère.


Le couple donne encore la vie à Marie Anne Constance en 1793 et à Jacques sous l'An II. Au total, cela fait 6 enfants. Puis, c'est un trou de près de 10 ans. Plus de traces de la famille pendant cette période troublée qu'est la Révolution. Ont-ils changé de village? François a-t-il été enrôlé dans les armées républicaines? Il avait déjà 40 ans... En tout cas, on le retrouve à la Mairie de Mère le 18 brumaire an XIII, pour déclarer la naissance du petit dernier de la famille, Charles Constant.


Sur ces 7 enfants, 3 sont morts avant 1810. Sur les 4 restants, je n'ai pu retrouver la trace que d'un seul, Jean-François, qui se marie en 1815. À son mariage, son père est présent. Donc c'est un certitude: François était vivant en 1815.


Son fils Jean-François meurt à 35 ans seulement, en 1826. Sur son acte de décès, François est déclaré comme étant décédé. Il est donc mort entre 1815 et 1826. Pourtant, aucune trace de lui sur les TD de Sainte-Mère-Église. Peut-être est-il allé s'installer dans le village de sa femme après le décès de celle-ci, survenu en 1815? Non, il ne figure pas non plus dans les TD d'Urville. Sans doute a-t-il été recueilli chez un de ses enfants survivants, vu son âge avancé. Mais, étant donné que les 3 enfants survivants ont disparu dans la nature, il va être difficile de retrouvé la trace du décès de François. L'histoire était bien partie pour finir en épine généalogique...


L'église et le cimetière d'Écoquenéauville (c) Google Earth


Je décide alors d'explorer les TD de tous les villages du canton de Sainte-Mère-Église: on ne sait jamais, François est peut-être mort dans le coin. La moitié des communes dépouillées, et aucun résulat à l'horizon. Arrive le tour d'Écoquenéauville, un minuscule village au nom imprononçable, situé au sud-est de Sainte-Mère-Église. Il contient 235 habitants à l'époque (à peine 69 aujourd'hui). Et là, surprise: un certain François ALLAIS y est décédé en avril 1823. Les dates correspondent, et même si ce n'est pas son prénom entier, on peut espérer qu'il s'agisse bien de la bonne personne. Direction les registres de décès du village.



Décès de François ALLAIS le 16 avril 1823 (c) Archives 50


Et en effet, bonne surprise: c'est bien lui. François ALLAIS, 69 ans, couvreur en paille. On apprend avec étonnement qu'il habite bien à Sainte-Mère-Église. Mais alors, pourquoi est-il venu mourir dans ce petit village? Bien entendu, c'est un acte d'état-civil, on en apprendra pas plus sur les circonstances du décès. On sait simplement qu'il est mort vers 20 heures chez un certain Bernardin LE FANT. Un membre de sa famille? Si cela avait été le cas, le lien de parenté aurait surement été indiqué. Bref, la découverte de la mort de François fait apparaître de nouveaux mystères.



Heureusement pour nous, les Mormons ont eu la bonne idée de mettre en ligne les Registres de catholicité de l'évêché de Coutances, autrement dit du Département de la Manche. Autant en profiter, et chercher un éventuel acte de sépulture pour le sieur François Allais. Assez rapidement, en date du mois d'avril 1823, on le trouve dans les registre paroissiaux d'Écoquenéauville. Au passage, on remarquera que le village est tellement petit que c'est le Curé de Turqueville, village voisin, qui rédige les actes.



Acte de sépulture de François ALLAIS (c) Familysearch


Selon cet acte, François n'a plus 69, mais 72 ans. En réalité, à sa mort, il avait 68 ans. Pas de surprise, le curé indique aussi qu'il vient de Sainte-Mère-Église. Par contre, il nous indique une chose capitale, que l'acte d'état-civil ne pouvait pas préciser: "...le corps de François Alais [...] frappé de parilisye sur la maison de M. Bernardin Le Fant dans laquelle il est décédé d'hier muni des sacrements..."


François était couvreur en paille. À cette époque, les toits étaient souvent composés de paille, ou d'autres végétaux qu'on trouvait en abondance, suivant la région. Il fallait 6 années d'études pour devenir un couvreur en paille. Et François, à 68 ans passé, travaillait toujours sur les toits! La retraite n'existait pas à l'époque, il fallait travailler si l'on voulait se nourrir.




Et voilà un mystère de résolu! Grâce à cet acte, on peut mieux imaginer ce qui a pu se passer: François habitait bien à Sainte-Mère-Église, même après la mort de sa femme. En ce beau mois d'avril 1823, il doit se rendre dans le village voisin d'Écoquenéauville, pour retaper le toit d'un client. Il s'appelle Bernardin Le Fant, c'est un homme encore plus âgé que François, et il est assez riche pour avoir un domestique. François monte donc sur son toit pour faire son travail. Il refait les mêmes gestes qu'il fait depuis plus de 40 ans. Mais il n'est plus un jeune homme, et à 68 ans passé, un accident est vite arrivé. François est victime de paralysie. Sachant qu'il se trouve sur un toit, une chute est plus que probable. Et il tombe, de plusieurs mètres de haut, sans doute. Mais il ne meurt pas tout de suite: on a le temps de le transporter à l'intérieur de la maison. C'est là qu'il meurt finalement, suite à ses blessures, en début. Il est enterré à Écoquenéauville. Reste à savoir ce que désigne ce terme vague de paralysie: le début d'une crise cardiaque?


La morale, c'est qu'il faut toujours consulter le plus de sources possibles, on ne peut jamais savoir à quoi s'attendre! Ne jamais négliger les registres catholiques du XIXème siècle. Il ne me reste plus qu'à vérifier tous les actes religieux de mes ancêtres vivants dans la Manche après la Révolution :-p







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