Trouvé dans les registres paroissiaux du petit village de Charmois-l'Orgueilleux, en Lorraine (Vosges), ce court texte en latin. Il se trouve à la fin du registre des baptêmes, après un acte daté du 13 mars 1740.
Hic finitr ad majorem Dei
Gloriam; mortuo Clemente Papa 12°;
Regnantibus in Gallia Ludovicos 15°; Lotharingiave
Stanislas 1° et ulmo, Poloniae Rege.
Ici finit [ce registre] pour la plus grande Gloire
de Dieu, étant mort Clément XII,
régnant en France Louis XV, ou en Lorraine
Stanislas Ier, ancien Roi de Pologne.
Ce texte est en latin alors que le reste du registre est en français. C'est la première fois que je vois une telle mention dans un registre. Mais c'est intéressant de pouvoir replacer un petit village dans le contexte politique de son époque. Comme quoi, même le curé d'un patelin perdu au fond de la campagne vosgienne est au courant de la vie des Grands du monde... A noter que la phrase "Ad majorem Dei Gloriam" est la devise des Jésuites... Peut-être ce curé faisait-il partie de la Compagnie de Jésus?
En tout cas, voici une petite présentation des trois Grands cités dans ce registre.
Clément XII est un pape du Siècle des Lumières, dont le règne est coincé entre ceux de Benoit XIII et Benoit XIV. Il fut élu Pape en juillet 1730. Son règne dura un peu moins de 10 ans, puisqu'il mourut le 6 février 1740, à l'âge de 87 ans. Bien que presque aveugle et paralysé, il sut dirigé les Etats Pontificaux avec intelligence, ce qui n'empecha pas les grandes puissances de l'époque de l'humilier, par exemple le Saint-Empire.
Le texte de notre curé est écrit après un acte du 13 mars 1740, soit un peu plus d'un mois après la mort du Pape. Est-ce que notre curé a écrit ce texte tout de suite après avoir appris la nouvelle, ou a-t-il attendu de terminer le registre pour mentionner cette mort papale? Mystère. Même si on peut aisément deviner que, les moyens de communications n'étant pas les même aujourd'hui qu'en 1740, la nouvelle de la mort du Pape ait pu mettre un mois en partant de Rome pour atteindre ce petit village lorrain.
Louis XV est beaucoup plus connu. Né en 1710, il succède à son arrière-grand-père l'illustre Louis XIV en 1715, alors qu'il n'est encore qu'un enfant. En 1740, le jeune roi a 30 ans, et il dirige lui-même son royaume. Il est alors surnommé le Bien-Aimé. Il faut dire que sa jeunesse fut bien accueillie par le peuple français, après le règne interminable de Louis XIV. Mais petit à petit, Louis XV connaitra le même désamour de son peuple que son prédécesseur. Il fut même enterré de nuit, pour ne pas provoquer d'émeutes. Il faut dire qu'il régna près de 59 ans!
Officiellement, Louis XV n'avait aucun droit sur la Lorraine, qui était indépendante. Pourtant, le curé de Charmois cite quand même le Roi de France. Peut-être à cause de la proximité du pays. Mais peut-être aussi à cause du fait qu'officieusement, le Duché de Lorraine était dirigé par le chancelier Antoine-Martin Chaumont de La Galaizière, un Français aux ordres de Louis XV. La Galaizière calqua l'admnisitration lorraine sur l'administration française, afin que le rattachement du Duché au Royaume (en 1766) se passe dans la douceur. Par contre, le chancelier fut détesté par le peuple lorrain, qui jusqu'alors avait connu une certaine liberté (par exemple, il y avait des Etat-Généraux à Nancy tous les ans). La Galaizière dirigea la Lorraine sur le modèle français, c'est à dire comme une monarchie absolue, alors qu'avant, la Lorraine fonctionnait comme une monarchie constitutionnelle.
Ancien Roi de Pologne, Stanislas Leszcynski était le beau-père de Louis XV. En 1738, le Traité de Vienne mettait fin à la Guerre de Succession de Pologne. En échange de son renoncement au trône de Pologne, Stanislas recevrait le Duché de Lorraine. François III, qui était alors Duc de Lorraine, doit accepter en compensation le Duché de Toscane (pour l'histoire, François III de Lorraine deviendra François Ier d'Autriche, Empereur germanique, et ancêtre de tous les Habsbourg-Lorraine qui régnèrent sur l'Autriche-Hongrie jusqu'e 1918). Stanislas reçoit la Lorraine à titre viager, c'est à dire qu'à sa mort, son gendre Louis XV héritera de la Lorraine, qui sera donc intégrer au Royaume de France. C'est pourquoi le chancelier de La Galaizière fut nommé, afin de préparer cette annexion.
Même s'il n'avait aucun pouvoir politique, Stanislas fit beaucoup pour le rayonnement de sa Cour. Il fonda l'Académie de Nancy et la Bibliothèque Royale de Nancy. Il fit également beaucoup pour son peuple, en fondant de nombreux hôpitaux, des écoles, des bibliothèques pour tous, et en aidant les plus défavorisés. C'est pour ça que, peu apprécié au début de son règne en 1737, il fut peu à peu adopté par les Lorrains jusqu'à sa mort, trente ans plus tard. On se rappelle surtout de lui aujourd'hui pour la magnifique Place Stanislas à Nancy, qui à l'origine s'appellait Place Royale, en l'honneur de son gendre Louis XV...
Pour conclure: quand notre curé écrit ce texte en 1740, Stanislas est en Lorraine depuis seulement 3 ans, et pour beaucoup, il n'est encore que le Roi de Pologne. Le curé prend soin de mentionner le Duc de Lorraine, mais aussi le Roi de France, comme ça, que ses contemporains se considèrent Lorrains ou Français, tout le monde s'y retrouve!
Voilà ce qu'on peut apprendre d'une simple citation à la fin d'un registre. L'histoire bien compliquée de la Lorraine. Et vous, avez-vous déjà trouvé ce genre d'annotations dans les registres paroissiaux?
Sources:
- Forum Généanet: Latin
- Wikipédia
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